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Comment mieux comprendre la douleur ?

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Nous avons tous fait, au cours de notre vie et à différents degrés l’expérience de la douleur. Mais quelle est-elle exactement ? Pourquoi a-t-on mal ? Comment est-elle actuellement prise en charge en France et quel est le rôle de votre kinésithérapeute ?

Qu’est-ce que la douleur ?

Vous ne serez pas surpris si l’on vous dit que l’on peut définir la douleur comme étant une sensation désagréable que nous percevons à un endroit précis du corps. Cette réponse n’apprend rien à personne, et pourtant il est essentiel de comprendre que cette sensation désagréable amenée à notre conscience (perception), est le fruit d’un processus complexe, que le thérapeute se doit de comprendre et d’analyser pour essayer d’aider son patient.

Nous pourrions ici entrer dans des détails physiologiques et aborder des points essentiels mais inutiles dans un premier temps lorsque vous souffrez et cherchez des réponses à votre problème. En réalité, la douleur n’est pas un problème, à tel point qu’elle est non seulement naturelle, mais surtout indispensable et vitale. Savez-vous qu’il existe des personnes qui ne perçoivent pas la douleur ? Est-ce une bénédiction ? Sûrement pas ! Et leur courte espérance de vie le montre. Imaginez que suite à une chute, aucune douleur ne vienne vous avertir que marcher avec une fracture n’est pas la meilleure chose à faire. Vous aurez rapidement de très gros ennuis, pouvant même mettre votre pronostic vital en jeu.

Mais alors pourquoi autant de personne subissent-elles cette douleur qui devient un fléau quand elle perd cette fonction vitale d’avertisseur de danger et devient elle-même le problème ?

En réalité la douleur est un phénomène normal destiné à disparaître une fois que sa mission d’avertisseur est terminée.  C’est ainsi dans la majorité des cas, mais il arrive que cette perception douloureuse persiste au-delà de ce qu’elle devrait, et l’on se retrouve face à une douleur persistante, qui elle, est un vrai problème.

Les raisons de cette persistance sont multiples et il convient avec chaque patient de prendre le temps nécessaire pour comprendre ce phénomène et partager avec son patient ces informations.

Existe-il différents types de douleurs ?

La douleur nécessite, pour sa compréhension, d’être décrite et classifiée. À ce titre, on peut tenter de la classer par ses origines supposées.

On aura effectivement des douleurs nociceptives, des douleurs neuropathiques, des douleurs nociplastiques et des douleurs dysfonctionnelles (le terme “psychogène” a été abandonné).

Cette classification ne vous apporte certes pas grand chose en tant que patient mais elle est utile aux professionnels de santé, pour mettre face à tel ou tel type de douleur des traitements médicamenteux ou non, visant à contenir les phénomènes physiologiques sous tendus par chacune des « catégories » de douleur, et espérer une diminution, voire une disparition de la douleur.

Douleur aiguë, douleur chronique, quelles différences ?

C’est une autre façon de « classer » les douleurs. Ici c’est plus la notion de durée qui est prise en compte.

Lorsque la durée est “normale”, on dit que la douleur est aiguë, si la durée est anormalement longue, on parlera de douleur persistante (chronique).

En simplifiant à l’extrême, on pourrait dire que la douleur aiguë est « normale » et en lien avec une lésion identifiée, alors que la douleur persistante (chronique) est une douleur qui persiste au-delà de ce qu’elle devrait.

Il est évident que les prises en charge seront très différentes, mais le fait essentiel ici est que vous avez mal de la même manière et que votre perception de la douleur est similaire. Cette distinction ne vous sera donc d’aucun secours dans un premier temps.

Dans un deuxième temps, pour votre médecin, vous annoncer que votre douleur est chronique revient à vous annoncer que votre douleur est une “maladie” et non plus un symptôme.

Cette annonce requiert des compétences en entretien et en psychologie, comme pour toute annonce de maladie.

Dans tous les cas, votre interlocuteur (médecin, kinésithérapeute…) doit savoir vous montrer l’attention qu’il porte à votre douleur et la reconnaissance qu’il en a.

Finalement pourquoi a-t-on mal ?

C’est là que cela se complique… Il est important de comprendre que la douleur est une sensation destinée à faire agir la personne qui la perçoit.

Prenons un exemple simple :

  1. Vous posez votre main sur quelque chose de chaud
  2. Des détecteurs placés dans votre main vont s’activer (car la chaleur est élevée), et envoyer un message vers le centre de contrôle, qui n’est autre que votre cerveau.
  3. Le centre de contrôle va analyser cette information : « Il y a au niveau de la main quelque chose de chaud. Si ce sont ces détecteurs qui se sont activés, c’est que la chaleur est de (par exemple) 50°. 50° c’est une température élevée et qui peut occasionner des dégâts (brûlure)».
  4. Si c’est dangereux (analyse), il est nécessaire d’agir (action) pour ôter la main.
  5. Vous enlèverez votre main (action) pour prévenir l’aggravation de la situation (conservation de l’intégrité de l’organisme).

L’important dans la compréhension du phénomène est le fait que la douleur n’est ressentie qu’après l’analyse du système de contrôle, et que la douleur est consécutive à cette analyse par rapport à la menace perçue.

En aucun cas les informations en provenance de la main ne sont assimilables à une douleur, la douleur intervient a posteriori de l’analyse du système de contrôle, et n’existe que si le cerveau le décide.

On ne ressent une douleur que si le cerveau perçoit une menace, et qu’il estime que la conscience doit être informée. La douleur est le fruit d’une prise de conscience d’une menace, au travers d’un ressenti désagréable, perçu à un endroit du corps, que le cerveau évalue comme étant menacé.

Comment se fait-il que l’on puisse avoir mal alors que l’imagerie, l’examen clinique, etc … sont parfaitement normaux ?

La douleur n’est pas le reflet de la lésion.

On peut ressentir une douleur avec des examens normaux et on peut n’avoir aucune douleur avec des examens montrant des lésions. On peut bien sûr aussi avoir des lésions et ressentir une douleur.

Les douleurs dysfonctionnelles (comme dans la fibromyalgie), sont davantage dépendantes d’un système défaillant. La sensibilisation centrale associée à ce type de douleur modifie le message qui arrive au cerveau, et par conséquent la réaction du cerveau, qui se base sur un message erroné, est amplifiée.

En fait, les examens sont rarement pertinents pour expliquer la douleur. Ce sont des examens d’exclusions, qui servent à repérer le pire mais sont rarement utiles pour poser à coup sûr un diagnostic concernant la douleur. Rechercher une cause à une douleur sur le simple résultat d’un examen s’avère inefficace et même parfois délétère, quand on détecte quelque chose qui n’est pas pertinent, comme une hernie discale souvent présente sans symptôme douloureux.

Pourquoi on ne peut pas dire que votre douleur est « dans votre tête » ? 

Tout d’abord revenons sur cette expression : Que veut dire « dans la tête » ? Il y a une très grosse différence entre ce que veut dire une phrase et la manière dont elle est perçue. Ici « dans la tête » est perçu comme : « n’existe pas »

Nous avons vu précédemment que le plus important dans le développement d’un partenariat thérapeutique entre votre thérapeute et vous qui souffrez est de développer une relation de confiance où votre douleur est prise en considération. C’est un préalable incontournable.

Votre thérapeute sait que vous ne consultez pas parce que vous avez mal, mais parce que cette douleur a un impact sur votre vie, impact que vous ne pouvez plus supporter.

Lorsque cette douleur est niée par des propos maladroits, cela peut vous laisser penser que vous, en tant qu’individu qui a mal, n’êtes pas reconnu.

La coopération entre votre thérapeute et vous est l’élément clé de la réussite de la prise en charge. Vous apprendrez à accepter votre cerveau qui décide si oui ou non il doit ressentir une douleur.

Il y a des étapes à respecter dans cet apprentissage, car il est évident que si l’on vous dit : « c’est votre cerveau qui décide si oui ou non il doit ressentir une douleur » , vous allez imaginer que c’est votre responsabilité. Or, nous n’avons que très peu de possibilité d’agir sur le fonctionnement de notre propre cerveau. Cette action est totalement hors de votre contrôle, comme la plupart des choses contrôlées par notre cerveau.

Que pensez-vous de ce schéma ? 

Ce schéma est parfaitement exact, mais est très peu lisible par le grand public, pour les raisons évoquées plus haut. Il ne suffit pas de le donner aux patients sans le leur expliquer.

Il nécessite d’avoir au préalable été informé du fonctionnement de la douleur.

Imaginez quelqu’un qui ressent des douleurs au niveau de son dos depuis des années (ce qui est fréquent), il y a fort à parier que son parcours médical l’ait déjà fait croiser le chemin de bon nombre de praticiens avec des explications très variées (vertèbre déplacée, disque dégénéré, bassin décalé, contracture musculaire, tendinite….). Le voilà maintenant arrivé chez un thérapeute devant ce schéma. Que va t’il penser ?

  1. Tiens, on ne me l’a pas encore faite celle-là.
  2. On me prend vraiment pour un idiot.
  3. Non je ne suis pas fou.
  4. Le cerveau est dans la tête à ce que je sache.

A aucun moment, surtout si le patient est fragile psychologiquement (ce qui est à la fois une cause et une conséquence de la douleur persistante), ce schéma ne suscitera pas d’intérêt pour lui s’il le découvre trop tôt. On parlera plus ici de « renforcement négatif » qui rendra le patient plus méfiant qu’à l’écoute.

Comment peut-on imaginer qu’un patient comprenne que ce schéma le concerne, alors que lui (comme tous les autres) vient chercher une réponse avec une origine mécanique à son problème : « réparez moi monsieur le kiné », voilà sa requête donc cette réponse vient beaucoup trop tôt, même si elle est parfaitement exacte.

Où en est-on de la prise en charge de la douleur en France ?

Les plans douleur se succèdent, sans grands changements. La France reste avec une prise en charge médicale qui est loin de satisfaire l’ensemble des patients.

Le patient douloureux complexe a besoin d’une prise en charge multifocale avec une notion d’éducation forte : « comprendre pour pouvoir agir ».

Le patient reste souvent passif face à son problème, comportement augmenté par une prise en charge où le patient se laisse soigner.

L’autre problème est la formation, car les « spécialistes » se regroupent au sein des centres spécialisés dans la prise en charge de la douleur (CLUD CETD…) et en ville, là où il y aurait un besoin de poursuivre une action pluri professionnelle (éducation, psychologie, activité physique adaptée…) rien n’est vraiment organisé sans parler du financement qui est inexistant.

Les patients douloureux complexes se sentent vraiment abandonnés à leur sort, ce qui est proche de la vérité.

Quel est le rôle du kinésithérapeute face à la douleur ? 

Le kinésithérapeute peut avoir un rôle central dans cette prise en charge.

L’organisation des séances (individuelle ou en groupe), la récurrence des actes (possibilité de faire des actes en série), la connaissance du corps en mouvement (sain et pathologique), l’habitude de l’activité physique adaptée (conception et réalisation), sont des atouts majeurs dans cette prise en charge.

Article rédigé avec le concours de Laurent Rousseau, masseur-kinésithérapeute, titulaire d’un DU douleur, d’un DU TCC douleur chronique, formateur en formation continue sur la douleur en kinésithérapie, membre du groupe d’information douleur de la Société française de physiothérapie.