Il n’est pas nécessaire de mentir au patient ! Une étude récente démontre que l’administration d’un placebo en toute transparence peut être efficace pour soulager la douleur. À condition d’en expliquer les mécanismes à la personne concernée.
→ L’essentiel
L’effet placebo montre à quel point notre cerveau peut agir sur notre corps. Ce phénomène se produit quand un traitement sans principe actif — comme une capsule de sucre ou une crème neutre — soulage tout de même les symptômes, simplement parce que le patient y croit.
Longtemps, on a cru que, pour qu’un placebo soit efficace, il fallait tromper le patient. Mais une étude menée par une équipe de kinésithérapeutes, Léo DRUART, Saraeve GRAHAM-LONGSWORTH et le professeur Nicolas PINSAULT, kinésithérapeute, vice-président du Conseil national de l’ordre des masseurs kinésithérapeutes et professeur à l’Université Grenoble-Alpes, montre qu’il est possible d’être honnête tout en obtenant des effets positifs.
Comment ? En expliquant au patient les mécanismes de l’effet placebo : lorsque le cerveau pense qu’un traitement va fonctionner, il déclenche la production de substances qui soulagent réellement la douleur.
Dans cette étude, des volontaires ont été soumis à une douleur contrôlée et ont tous reçu un traitement placebo. Les participants informés de la nature fictive du traitement, mais à qui l’on a expliqué scientifiquement le fonctionnement de l’effet placebo, ont ressenti autant de soulagement que ceux à qui on a laissé croire que le traitement était « réel ».
Cela ouvre la voie à un usage éthique et déontologique du placebo en médecine, en respectant l’information du patient, sans pour autant sacrifier son efficacité.
→ Les dessous de l’étude *
Le professeur Nicolas PINSAULT, vice-président du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes et responsable de l’équipe ThEMAS (Techniques pour l’évaluation et la modélisation des actions de la santé) au sein du laboratoire TIMC (CNRS/Université Grenoble-Alpes), consacre ses recherches à l’organisation des soins et à l’usage du placebo en pratique clinique. Il explique : « L’effet placebo est bien documenté, mais son usage est limité par des contraintes éthiques. En effet, il est généralement associé à une forme de tromperie, alors que notre déontologie impose une information claire et loyale, pour un consentement libre et éclairé du patient. »
Réconcilier placebo et éthique
D’où cette question : que se passerait-il si l’on administrait un placebo à un patient en lui disant clairement que c’en est un ? C’est le principe du placebo ouvert.
« Depuis 2010, quelques études ont montré que le placebo ouvert pouvait continuer de fonctionner, mais qu’il restait moins efficace que lorsqu’on ment au patient », explique le professeur Nicolas PINSAULT. « L’idée que nous avons eue, c’est d’essayer de compenser cette perte d’efficacité par une explication pédagogique des mécanismes qui se mettent en place dans le cerveau. »
Pour tester cette hypothèse, son équipe a conduit une étude de non-infériorité. Objectif : vérifier si le fait d’éduquer le patient sur les mécanismes neurophysiologiques de la douleur et de l’effet placebo pouvait restaurer l’efficacité du traitement, même lorsqu’il est clairement présenté comme fictif.
Méthodologie
L’étude a été menée auprès de sujets sains à qui une douleur aiguë était provoquée par l’immersion de la main dans un bac d’eau glacée. Deux groupes ont été constitués :
- Groupe placebo-éduqué : les participants ont visionné une vidéo expliquant le fonctionnement neurophysiologique du placebo.
- Groupe contrôle : les participants ont visionné une vidéo sur le lavage des mains.
Les deux groupes ont ensuite reçu une crème présentée comme antalgique, mais qui était en réalité un placebo. Les participants ont évalué l’intensité de la douleur ressentie à l’aide d’une échelle visuelle analogique (EVA).
Résultats et interprétation
Les résultats montrent une quasi-équivalence d’efficacité entre les deux groupes : la différence moyenne d’intensité douloureuse était de 0,7 mm sur 100 mm. Cela confirme l’hypothèse de l’étude : l’éducation du patient permet de restaurer l’efficacité d’un placebo ouvert.
« Nos résultats réhabilitent la possibilité d’administrer un placebo dans des conditions éthiques », se réjouit le professeur Nicolas PINSAULT. « Cela pourrait même encourager une forme de démocratie médicale, en permettant aux patients de mieux comprendre les traitements et de participer davantage aux décisions. »
Une avancée pour la pratique clinique
Ce travail ouvre des perspectives concrètes pour intégrer le placebo dans les pratiques soignantes, sans compromettre les obligations déontologiques. Il conforte aussi l’importance de l’effet d’attente, du conditionnement et des interactions soignant-soigné dans la prise en charge de la douleur.
Placebo, nocebo… quand l’esprit influence le corps
À l’inverse de l’effet placebo, l’effet nocebo survient lorsque les attentes négatives d’un patient entraînent l’apparition d’effets indésirables, même si le traitement est inactif. Par exemple, une personne convaincue qu’un médicament lui fera mal au ventre peut effectivement ressentir cette douleur… même si elle a pris une simple capsule de sucre.
D’autres mécanismes interviennent aussi, comme l’effet d’attente – influencé par le discours médical et le contexte de soin – ou l’effet de conditionnement, lequel amène le corps à reproduire une réponse physiologique simplement par habitude.
Explication scientifique de l’effet placebo et de son usage dans la pratique clinique
L’effet placebo expliqué au grand public
* « If only they knew! A non-inferiority randomized controlled trial comparing deceptive and open-label placebo in healthy individuals » – Leo DRUART, S.E. GRAHAM LONGSWORTH, Hugo TERRISSE, C. LOCHER, C.R. BLEASE, C. ROLLAND et Nicolas PINSAULT- European Journal of Pain, 15 November 2023. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/ejp.2204