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Kinésithérapie, une evidence based practice ?

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À l’heure où l’on parle de plus en plus des “fakemed” ou pseudo-médecines et où les thérapies manuelles non-conventionnelles sont en plein essor et figurent en bonne place dans les médias,  il semble intéressant de s’interroger sur le statut de la kinésithérapie. Il s’agit de comprendre comment elle rentre dans le cadre des pratiques basées sur les preuves (EBP pour evidence based practice), c’est à dire en tant que démarche qui utilise les meilleures données actuelles de la recherche clinique, l’expertise du clinicien et les choix individuels des patients afin d’améliorer leur qualité de vie.

Pour ce faire, nous nous sommes entretenu avec Nicolas Pinsault, kinésithérapeute et docteur en ingénierie de la cognition, de l’interaction, de l’apprentissage et de la création et co-auteur du livre “Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles” (PUG, 2014)

Comment évaluer la kinésithérapie à l’aune de l’EBP.

L’évaluation de la kinésithérapie en tant que telle n’est pas aisée et comporte plusieurs difficultés : elle agrège différentes techniques, n’a pas de principe ni de concept propres que l’on pourrait tester au regard du critère de réfutabilité de Karl Popper.
Pour autant, elle sait se remettre en question, évolue à mesure que les données de la science s’enrichissent et trouve pleinement sa place dans l’EPB.
En effet, elle peut s’évaluer sur la base de deux critères :

  • Relativement au degré de vraisemblance de ses méthodes, c’est à dire à leur degré de scientificité en se reposant sur des hypothèses physio-pathologiques.
  • Relativement à l’efficacité (rapport coût/ efficacité) et à la reproductibilité de ses méthodes

Il y a aujourd’hui, à disposition des professionnels, une somme de données et d’études sur l’efficacité des techniques et la fiabilité des tests diagnostiques. Et, les kinésithérapeutes sont de plus en plus nombreux à les utiliser et à dépasser ce qu’ils ont appris en formation initiale. Pour ce faire il faut toutefois qu’ils disposent du recul critique nécessaire pour bien choisir et utiliser les données scientifiques.

Pour autant, il ne faudrait pas voir l’EBP comme l’application brute des données de la science. Si le professionnel de santé se doit de lire les études et de mettre régulièrement à jour ses connaissances, c’est pour intégrer ces données scientifiques dans son raisonnement clinique et apprendre à utiliser ou non de telle ou telle méthode en fonction de son patient, des objectifs et du consentement de ce dernier ainsi que du contexte général. Cela pourra ainsi l’amener à objectiver, par la réflexion et l’ordre de priorisation, de bonnes raisons de ne pas utiliser la technique la plus efficace selon les données de la science.
En somme, l’approche EBP ne devrait pas enlever à la pratique sa finesse et induire une systématisation des prises en charge.

Et le patient dans tout ça ?

Si le professionnel de santé se base généralement sur un critère d’efficacité pour évaluer sa pratique, le patient tendra souvent à se baser sur la satisfaction qu’il retire de la prise en charge. Or, on peut tout à fait être satisfait de quelque chose qui ne marche pas.
Face à cette ambiguïté, le kinésithérapeute doit également savoir prendre en compte les objectifs de son patient : souhaite-il être soulagé ? Guéri ? Écouté ? Qu’attend t-il de la prise en charge ?

À cette éventuelle contradiction d’exigence, s’ajoute le critère d’évaluation social – puisque la prise en charge en kinésithérapie est remboursée par la sécurité sociale : celui du rapport coût/efficacité.

Dès lors, le professionnel se devra de clarifier ses objectifs et observer une éthique qui l’écarte du clientélisme et décidant, lorsque cela est nécessaire, de ne pas maintenir la prise en charge si les divergences en termes de finalité sont trop importantes.

Le patient et l’EBP

Si les objectifs des patients et des professionnels de santé s’inscrivant dans une démarche basée sur les données de la science peuvent diverger, pour autant, le patient aura tout intérêt à s’orienter vers la kinésithérapie et son ancrage EBP.
En effet, on peut faire l’hypothèse raisonnable que les pratiques basées sur les preuves seront non seulement plus efficaces mais également moins sujettes aux dérives et moins susceptibles d’être dangereuses.

Cette démarche EBP impose au professionnel une certaine rigueur dans la réflexion, ce qui lui permet de développer une finesse d’analyse et de fonder un diagnostic différentiel sérieux – elle est d’ailleurs la seule voie possible pour aller vers l’accès direct demandé par un certain nombre de professionnels.

En outre, la kinésithérapie est un profession réglementée, assujettie à un Ordre et à une déontologie ce qui maximise les chances de recevoir des soins consciencieux.
Enfin, l’EBP favorise un modèle de santé efficient où la prise en charge est homogène du faits de pratiques harmonisées. Ceci évite une dispersion des moyens.

Le CNOMK a pour mission notamment de diffuser les bonnes pratiques.  C’est donc dans ce contexte de valorisation de l’esprit critique et de la démarche scientifique que nous diffusons cet article.